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Le nouveau régime de nantissement des crypto-actifs

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    Sygna Partners
  • il y a 18 minutes
  • 5 min de lecture

Avec la loi du 30 avril 2025, les crypto-actifs franchissent une nouvelle étape : déjà régulés sous l’angle financier, ils se voient désormais dotés d’une véritable sûreté civile – le nantissement de crypto-actifs. En introduisant un nantissement spécifique des crypto‑actifs, le législateur français adapte le droit des sûretés à la révolution numérique, conciliant sécurité juridique et mécanismes techniques propres à la blockchain. Le nantissement des crypto-actifs offre aux praticiens une sécurité accrue et des mécanismes innovants (smart contracts, clause d’arrosage, droit de rétention). Mais son régime soulève déjà des interrogations.

Le nantissement est une sûreté réelle mobilière qui consiste à affecter un bien en garantie du paiement d’une obligation, sans transfert immédiat de propriété au créancier (C. civ., art. 2355). Pour tenir compte de la diversité des biens, le droit français a progressivement multiplié les régimes spéciaux de nantissement, tels que ceux portant sur le fonds de commerce, le matériel professionnel ou encore les instruments financiers.

C’est dans cette logique d’adaptation qu’intervient la loi DDADUE 5 du 30 avril 2025, qui introduit un régime spécifique de nantissement des crypto-actifs (C. mon. fin., art. L.226-5). Les crypto-actifs sont définis par l’ordonnance du 15 octobre 2024 relative aux marchés de crypto-actifs comme des biens incorporels représentant, sous forme numérique, une valeur ou un droit pouvant être transférés et stockés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (ex : les cryptomonnaies (telles que le bitcoin), les stablecoins ou encore certains jetons utilitaires).

En consacrant un nantissement spécifique aux crypto-actifs, le législateur combine sécurité juridique et adaptation technique. Cette création législative, qui recouvre à la fois le droit des sûretés et le droit financier, marque une étape supplémentaire dans la reconnaissance civile des actifs numériques.

I. La création du nantissement des crypto-actifs et son régime

La loi DDADUE 5 du 30 avril 2025 intègre au Code monétaire et financier l’article L.226-5 instaurant un nantissement spécifique des crypto-actifs. La création de ce régime procède d’une volonté de combler un « oubli » de l’ordonnance du 15 octobre 2024 sur les marchés de crypto-actifs, qui, bien qu’inspirée des travaux du HCJP, n’avait pas consacré de sûreté spéciale adaptée à ces biens.

Le formalisme de constitution reprend en grande partie celui applicable aux instruments financiers.

Le nantissement se forme par une déclaration du constituant, qui doit être signée et adressée au prestataire de conservation. Le législateur a innové en admettant que cette déclaration puisse être électronique, y compris réalisée par un automate exécuteur de clauses – un smart contract. Le texte admet également la coexistence de nantissements successifs de crypto-actifs, dont le rang est fixé par la date de la déclaration initiale.

En ce qui concerne l’assiette du nantissement des crypto‑actifs – correspondant aux biens donnés en garantie –, elle comprend non seulement les crypto‑actifs initialement désignés par la déclaration, mais aussi ceux qui les remplacent, ceux qui les complètent, ainsi que leurs fruits et produits (ex : les revenus du staking, les crypto‑actifs issus de forks, etc...).

À la différence toutefois du nantissement de comptes-titres financiers, le texte vise directement les crypto-actifs et non un compte abstrait.

II. Les effets du nantissement : transfert de propriété, droit de rétention et réalisation

Le régime du nantissement des crypto-actifs produit ses effets avant même l’exigibilité de la créance garantie. Le constituant demeure propriétaire des actifs nantis tant que la sûreté n’est pas réalisée, de sorte que le nantissement ne peut être assimilé à une cession de propriété à titre de garantie.

En outre, l’article L.226-5 confère expressément au créancier nanti un droit de rétention. Celui-ci n’est pas purement théorique : il suppose que le créancier dispose d’un véritable pouvoir de blocage sur les actifs, empêchant le constituant d’en disposer seul. En pratique, cela peut passer par un accès du créancier à la clé privée, par une détention des actifs chez un conservateur ou encore par la mise en place d’un système de multi-signatures. Cette exigence rejoint d’ailleurs une tendance internationale visant à garantir au créancier un contrôle effectif sur l’actif nanti.

La mise en œuvre de la sûreté, lorsqu’elle devient exigible, obéit à des règles spécifiques. Le créancier peut réaliser le nantissement dès lors que sa créance est certaine, liquide et exigible, après l’écoulement d’un délai de huit jours suivant une mise en demeure adressée au débiteur, au constituant ou au conservateur. Les frais liés à la réalisation sont supportés par le constituant et imputés sur le produit de la réalisation.

Les parties conservent une liberté importante pour convenir des modalités de réalisation, ce qui permet d’adapter le mécanisme à la diversité des situations. À défaut de stipulation, ce sont des modalités réglementaires qui trouvent à s’appliquer.

III. Un régime inédit : portée et limites

La consécration du nantissement des crypto-actifs marque une étape importante dans l’évolution du droit des sûretés. Elle répond à une attente des praticiens et sécurise des opérations déjà connues à l’étranger, telles que le crédit lombard garanti par crypto-actifs, pratiqué notamment en Suisse et au Luxembourg.

Le dispositif présente plusieurs avantages. Sur le plan juridique, il confère aux crypto-actifs une légitimité accrue, en les intégrant pleinement dans le champ des sûretés civiles. Sur le plan technique, il introduit des mécanismes innovants tels que la constitution par smart contract ou la clause d’arrosage, permettant une automatisation et une grande souplesse. Sur le plan fiscal enfin, il neutralise un obstacle majeur, puisqu’il n’y a pas de transfert de propriété lors de la constitution, ce qui évite toute imposition immédiate.

Ces atouts doivent toutefois être nuancés par certaines réserves. D’un point de vue normatif, le nouvel article L.226-5, inspiré du régime des comptes-titres financiers, n’est pas exempt d’ambiguïtés, notamment sur le rôle exact de la notification et sur la portée des stipulations contractuelles. A noter à ce titre que cette disposition doit encore être complétée par le Conseil d’Etat. Sur le plan économique, la volatilité inhérente aux crypto-actifs fragilise la garantie : la valeur de l’assiette peut varier de manière considérable, ce qui rend son efficacité incertaine. Enfin, l’efficacité internationale de ce mécanisme reste limitée. La directive Collateral de 2002, qui fonde en droit européen le régime des garanties financières, ne vise pas les crypto-actifs, de sorte que la reconnaissance de ce nantissement demeure pour l’heure cantonnée au droit français.

Par conséquent, le nantissement des crypto-actifs constitue une réforme structurante : il adapte le droit des sûretés à une nouvelle catégorie de biens, tout en introduisant des instruments juridiques novateurs, tels que l’usage du smart contract.

Il illustre une double tendance : la spécialisation des sûretés réelles et l’hybridation du droit civil et du droit financier. Si sa mise en œuvre pratique posera encore des défis – notamment techniques et internationaux, ce nouveau dispositif marque une étape essentielle dans la normalisation et l’institutionnalisation des crypto-actifs dans la vie des affaires.

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