7 septembre 2021
Paris, France - Dans un arrêt inédit rendu aujourd'hui, la Cour de cassation a approuvé les mises en examen de la multinationale française du ciment LafargeHolcim SA (« Lafarge ») pour complicité de crimes contre l'humanité et financement du terrorisme commis par l'État islamique d'Irak et au Levant (« EI ») et d'autres groupes armés en Syrie.
Il s’agit de la première fois qu'une multinationale française est mise en examen pour des faits de complicité de crimes contre l'humanité concernant des violations des droits de l'homme commises à l'étranger.
Selon les actes d'accusation, Lafarge a effectué des paiements de plusieurs millions de dollars à l’EI et d'autres groupes armés ainsi qu’échangé des matières premières avec l’organisation terroriste alors qu'elle exploitait une cimenterie à la frontière entre la Syrie et la Turquie pendant la guerre civile syrienne. Ces actes ont eu lieu au moins jusqu'à l'été 2014, la société ayant pleinement conscience des crimes commis au même moment par l’EI et d'autres groupes armés en Syrie et en Irak.
En novembre 2019, la Cour d'appel de Paris a confirmé les mises en examen de Lafarge et de certains de ses anciens cadres et employés pour financement du terrorisme mais a annulé leurs mises en examen des chefs de complicité de crimes contre l'humanité. Les parties civiles, parmi lesquelles des survivantes yézidies, ainsi que la société Lafarge et d’autres mis en examen se sont pourvus en cassation contre cet arrêt.
Aujourd'hui, la Cour de cassation a ouvert la voie à un procès pénal en confirmant les mises en examen pour financement du terrorisme et en invalidant l'annulation des mises en examen du chef de complicité de crimes contre l'humanité.
En ce qui concerne la mise en examen pour financement du terrorisme, l’arrêt rendu aujourd'hui souligne que :
« la société Lafarge et sa filiale locale ont pu être amenées à négocier, fût-ce indirectement, avec l’EI ou d’autres groupes terroristes en vue de maintenir les flux logistiques ».
et que ce soutien était suffisant pour caractériser l'infraction pénale de financement du terrorisme puisque la nature criminelle des activités de l’EI était bien connue des défendeurs.
En ce qui concerne la complicité de crimes contre l'humanité, la Chambre criminelle de la Cour de cassation note que les constatations de la Chambre de l’instruction étaient suffisantes quant au fait :
« que la société Lafarge a financé, via des filiales, les activités de l’EI à hauteur de plusieurs millions de dollars, ensuite, qu'elle avait une connaissance précise des agissements de cette organisation, susceptibles d’être constitutifs de crimes contre l'humanité ».
et que, par conséquent, les charges de complicité de crimes contre l'humanité doivent être rétablies.
Les investigations menées par les juges d’instruction concernant l'aide financière et matérielle qui aurait été fournie par Lafarge à l’EI ainsi qu’à d'autres groupes terroristes en Syrie pendant la guerre civile vont maintenant reprendre.
En réponse à l'arrêt, Natia Navrouzov, directrice du plaidoyer juridique chez Yazda, a déclaré :
« Cette décision est véritablement novatrice et enverra un message clair aux entreprises et aux victimes : personne n'est au-dessus de la loi et la justice s'applique à tous les types d'acteurs, particuliers ou entreprises. De la même manière que les auteurs individuels, les entreprises doivent faire face à des poursuites cumulées et être inculpées pour l’ensemble des crimes commis. Les actions de Lafarge ont facilité des dommages inimaginables, y compris l'esclavage sexuel et la torture, infligés par l’EI à des centaines de survivants yézidis victimes de trafic et retenus en captivité en Syrie, à seulement quelques kilomètres de la cimenterie. Le moins que Lafarge puisse faire maintenant est d'assumer sa responsabilité et d'indemniser les victimes. »
Amal Clooney, avocate des victimes ainsi que de Yazda, a fait le commentaire suivant :
« L’arrêt rendu aujourd'hui par la Cour de cassation est un énorme pas en avant pour les victimes des crimes commis par l’EI et pour les survivants du monde entier qui se battent pour obtenir justice. Dans cet arrêt historique, la Cour de cassation a confirmé que si les entreprises sont complices de crimes odieux, elles doivent en répondre devant un tribunal. Les entreprises devraient prendre note : si elles sont complices de violations des droits de l'homme, elles devront rendre des comptes et les victimes auront droit à des réparations. »
Rachel Lindon et Luke Vidal, avocats français des victimes yézidis et de Yazda ont commenté :
« Cette décision est une étape importante à mettre au crédit de la plus haute instance judiciaire française et des juges de sa Chambre criminelle qui, par une application stricte du droit, ont confirmé qu'aucune assistance d'aucune sorte aux groupes criminels terroristes et génocidaires ne sera tolérée dans l'état de droit français. Cette décision est une victoire pour les yézidis ainsi que pour toutes les autres populations persécutées et lésées par l’EI et les groupes terroristes qui étaient actifs en Syrie. C'est également une victoire pour le droit pénal et la justice internationale dans son ensemble ».
Le conseil et avocat devant la Cour de cassation des victimes parties civiles dans cette affaire était Catherine Bauer Violas. Ces victimes sont représentées par Luke Vidal et Lefa Mondon de Sygna Partners, Amal Clooney, Nicolas Angelet et Emilie Gonin de Doughty Street Chambers, Rachel Lindon et Mathilde Aublé de Lindon & Rohan Chabot, et le Professeur Pascal Beauvais (Faculté de droit de la Sorbonne, Université Panthéon - Sorbonne).
Note aux rédacteurs :
Yazda est une ONG qui soutient les survivants et documente les crimes commis par l’EI depuis plus de sept ans. Yazda a contribué à identifier, localiser et soutenir les victimes dans le cadre de procédures pénales devant de multiples juridictions à travers le monde.
La Cour suprême française est connue sous le nom de Cour de Cassation.
Selon l'article 121-2 du Code pénal français, les personnes morales peuvent être tenues pour responsables des infractions pénales commises pour leur compte par l'un de leurs représentants ou organes.
À ce stade, la Cour de cassation a jugé que, conformément à l'article 80-1 du Code de procédure pénale français, il existait contre Lafarge « des indices graves ou concordants » rendant vraisemblable qu'ils aient pu être impliqués dans la commission des infractions incriminées, notamment le financement du terrorisme, la complicité de crimes contre l'humanité, la mise en danger délibérée de la vie d'autrui (à savoir celle des employés syriens de Lafarge) et le délit douanier
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